Hommage à Gérard BAUMGART (1944-2023)

A Gérard BAUMGART (1944-2023)

« Tout feu, tout flamme »

Un hommage…

Gérard Baumgart, grand naturaliste alsacien, est décédé le 14 novembre 2023 à l’âge de 79 ans. Il a apporté une contribution essentielle à la connaissance des Reptiles et Amphibiens d’Alsace et plus généralement à la nature en Alsace et à sa protection. Jean-Sébastien CARTERON, en collaboration avec d’autres naturalistes qui l’ont connu nous partage son expérience.

Pour le jeune lycéen que j’étais en 1975 (17 ans), aller à des réunions naturalistes dans les locaux de l’Université Louis Pasteur fut le début de rencontres importantes comme celle de Gérard Baumgart. La présentation des actions d’étude et de protection menées par les participants, Christian Kempf, François Steimer, Yves Muller, Christian Dronneau, Laurent Schwebel, Benoît Wassmer et bien d’autres, se faisait avec des diaporamas, et des sorties de terrain étaient proposées sur le vif…

Je ne peux qu’évoquer ce bouillonnement dans lequel je me suis engagé avec Gérard Baumgart car il en était déjà à l’écriture de Mammifères d’Alsace avec C. Kempf (1980). Je me rappelle qu’il venait également de lancer une grande enquête sur les amphibiens en Alsace, en prévision de la rédaction d’un premier Atlas régional.

Quelques exemples :

Le Pélobate brun avait fait l’objet de nos premières investigations. Signalé à Brumath et à Sessenheim (F. Geissert), nous l’avons trouvé à Munchhausen en 1976.

Du 29 au 30 avril 1978, alors que l’enquête sur les amphibiens était en cours, un stage d’initiation avait été organisé au Centre d’Initiation à la Nature et à l’Environnement du Ried (l’actuelle Maison de la Nature) à Muttersholtz. La présence de R. Guyetant (Maître Assistant à la fac de Biologie de Besançon) avait été marquante pour énoncer les bases de l’identification des œufs et des larves d’amphibiens.

Le 3 décembre 1978, le Colloque régional d’Ornithologie et de Mammalogie, dans le grand amphithéâtre de l’Institut de Botanique de Strasbourg, avait permis de présenter les premiers résultats de l’Enquête sur les Amphibiens d’Alsace initié avec Benoît Wassmer deux ans plus tôt.

De 1977 à 1979, sous l’égide du Musée zoologique de Strasbourg, une première action de capture par grillages et seaux puis transferts principalement de Crapaud commun, fut menée en lisière des forêts du Sud de Strasbourg (Polygone). L’implication de Gérard fut très forte autant dans la conception, dans l’organisation que dans la recherche de solutions pour la protection au long terme. Dès 1978, il avait eu l’avis d’un géologue sur la possibilité de faire réaliser une mare de remplacement non loin de la station de pompage. Cette mare a été finalement creusée une vingtaine d’années plus tard, grâce à la poursuite des actions de la LPO (Sébastien Didier) et du Service Environnement de la Ville de Strasbourg.

En parallèle, les sorties à la recherche d’amphibiens remplissaient les week-ends, les nuits et les vacances.

Je viens de retrouver dans un classeur un document du 11 décembre 1977 qui retrace les prémices d’une étude sur la Salamandre tachetée : un bilan tapé à la machine mentionne 39 individus capturés mesurés, pesés et photographiés. Cette action s’est poursuivie près d’une dizaine d’années. En plein hiver, chaque sortie dans une mine se soldait par trois heures d’immobilité relative en phase de prise de notes, de gel profond et d’observations enthousiasmantes. Je me souviens de la passion et de la ténacité dont il faisait preuve sur le terrain lors de chacune des sorties réalisées.

Une expédition en août 1978, entrainant sa famille et moi-même, nous mena ainsi à la recherche de la plupart des amphibiens et reptiles de France. La rencontre avec différents chercheurs était sa spécialité.

En Suisse, ce fut la découverte de populations d’Alyte accoucheur, de Pelophylax lessonae et de la Salamandre noire guidés par Kurt Grossenbacher. Dans le Sud de la France, Louis-Philippe Knoepffler nous invita au Laboratoire Arago pour un moment inoubliable et un partage de précieuses informations pour découvrir Discoglosses, Pélodytes et le Spéléomanthe de Strinati. Après un passage par la réserve de Port-Cros, nous sommes allés en Espagne sur les traces du seul amphisbène d’Europe (non rencontré) et d’autres reptiles qui nous menèrent près de Madrid jusque dans la Sierra de Gredos.

La recherche de la Grenouille des champs débuta dans le Sundgau sur la base de données transmises par Kurt Grossenbacher. Il nous fallut attendre une troisième sortie début 1979, pour y rencontrer et photographier 3 individus en reproduction à Bisel.

Année 1980, Gérard Baumgart publiait « Je reconnais les Amphibiens » chez André LESON, collection Agir et Connaitre. J’effectuais alors mon Service militaire de 16 mois à Djibouti.

Année 1981, nous étudions les amphibiens et reptiles de l’île du Rohrschollen avant la création du barrage agricole.

Tout au long de ces années, il était coordinateur régional de la SHF (Société Herpétologique de France) et rassemblait et coordonnait les actions de diverses personnes. Il recueillait l’ensemble des données alsaciennes dans le cadre de l’établissement d’un Atlas régional qui n’a pas été finalisé par une publication.

Année 1982, une étude sur le Fort Hoche (Strasbourg Sud) nous permit d’obtenir des précisions sur la reproduction des Grenouille agile et rousse en forêt du Rhin.

A partir de 1983, l’engagement de Gérard se tourna vers les forêts rhénanes (Erstein, Seltz, Munchhausen, forêt du Neuhof) et les zones à Pélobate brun.

Le Crapaud Vert a toujours été une de ses préoccupations : comptages de chanteurs dès 1981. Protection avec création d’une crapaudière et l’Association APELE, sur le domaine TRABET à Lingolsheim. Etudes 1990 à 1992, pour arriver à une protection de 600 m de muret le long de l’échangeur vers l’aéroport. La protection des secteurs de reproduction se faisait chaque année en rencontrant les graviéristes. Des essais de radiotracking ont même été tentés pour connaître les déplacements précis de l’espèce, par l’intermédiaire de petits sacs à dos posés sur le dos de certains individus. Cela lui valut le passage en prime-time aux informations télévisées nationales !

A peine une action terminée qu’un autre projet se dessinait pour Gérard. Ainsi, avec Claude Schott comme dessinateur, nous avions minutieusement déterré et suivi les galeries d’un terrier de Grand hamster. La pesée des quelques grains mis en réserve (2-3 kg) nous avait convaincu de l’impact modéré qu’il pouvait avoir sur les cultures. Cette espèce, dont il a été le premier ardent défenseur, a été aussi l’un de ses grands combats pendant de longues années avant que Jean-Paul Burget ne prenne le relai.

Il n’est pas possible d’évoquer toutes les actions menées. La découverte et l’étude des Chauves-souris dans ses débuts (1982-1992) fut un grand moment partagé avec de nombreux naturalistes, notamment Eric Buchel et Yves Kayser. Ce furent des centaines de nuits de captures aux filets, et la visite de centaines d’églises pour récupérer des pelotes de rejection. Cela a formidablement fait progresser la connaissance sur ces espèces dans la région. Durant cette décennie, il a également mis en place les premières actions de médiation pour une cohabitation apaisée entre ces mammifères souvent décriés et les hommes.

Pendant des années, chaque mois, il a publié des articles sur ces sujets de Nature dans les Dernières Nouvelles d’Alsace (D.N.A.). Gérard Baumgart a sensibilisé ainsi un grand nombre d’Alsaciens qui ont pu s’investir chacun à leur manière dans leur jardin ou dans leur commune.

Les propositions d’études chiffrées, les exigences de résultats, sa combativité et sa passion pour les obtenir à l’aide de conférences de presse, tout cela a permis probablement d’établir les bases d’une sensibilisation à la valeur à donner aux actions de protection de la Nature auprès des administrations. Rigoureux dans toutes ses démarches, il accordait également une grande importance à la connaissance bibliographique sur la nature alsacienne et il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne fréquente assidûment les bibliothèques de Strasbourg, notamment la BNU riche en ouvrages naturalistes et archives.

Lors de la création de l’autoroute vers Lauterbourg, Gérard me parlait des mesures de compensation à mettre en œuvre tout le long de son tracé (suivi de mares de remplacement). Puis il continua ses actions plutôt sous la forme de « Bureau d’étude », comme lors du projet de Polder à Fort-Louis.

En 1997, l’association BUFO se proposait de réunir toutes les initiatives de protection des amphibiens sur l’Alsace. Nos objectifs ont divergé à ce moment…

Strasbourg, le 13 décembre 2023.